Les souffrances invisibles : ce que, en tant que parents, nous faisons (souvent) sans le savoir

 

Être parent est sans doute l’un des rôles les plus complexes de la vie. On ne naît pas parent, on le devient… souvent sans mode d’emploi. Par amour, par maladresse, par peur ou parfois par ignorance, nous transmettons à nos enfants bien plus que ce que nous croyons : nos blessures, nos doutes, nos croyances limitantes, nos colères non réglées, nos attentes irréalistes. Ce transfert, parfois inconscient, peut engendrer chez eux des souffrances profondes qui façonneront leur construction psychologique.

Il est essentiel de prendre conscience de ces mécanismes pour ne pas les reproduire.

 

 La répétition des schémas familiaux

Nous avons tous été enfants avant d’être parents. Et, sans le vouloir, nous avons tendance à répéter les comportements que nous avons connus dans notre propre enfance.

Exemple concret :
Un père ayant grandi avec un père autoritaire et distant peut, sans s’en rendre compte, devenir à son tour rigide et peu démonstratif. Il se dit : "Mon père m’a éduqué comme ça, j’ai réussi ma vie, donc c’est la bonne méthode."
Mais son enfant, plus sensible ou en attente d’un lien affectif, peut vivre cela comme un rejet, un abandon émotionnel.

Souffrance induite : difficulté à exprimer ses émotions, à développer l’estime de soi, peur de ne jamais être "assez bien".

 

 Les masques émotionnels imposés

Certains parents, pensant protéger leur enfant, leur imposent inconsciemment de cacher leurs émotions, de ne pas pleurer, de ne pas "faire de vagues".

Exemple concret :
Une mère dit régulièrement à son fils : "Ne pleure pas, sois fort. Ce n’est rien."
Le garçon grandit en pensant que pleurer est une faiblesse. À l’âge adulte, il est incapable de parler de ses émotions, ce qui génère un mal-être, des blocages dans ses relations, ou même des troubles psychosomatiques.

Souffrance induite : refoulement émotionnel, sentiment d’incompréhension, isolement intérieur.

 

Les attentes projetées sur l’enfant

Beaucoup de parents projettent sur leurs enfants leurs propres rêves inassouvis, sans mesurer la pression que cela représente.

Exemple concret :
Un parent rêvait d’être médecin, mais n’a pas pu faire ces études. Il pousse alors son enfant dans cette voie, malgré les réticences de ce dernier. L’enfant finit par faire des études brillantes, mais développe un burn-out, un sentiment de vide, une perte de sens.

Souffrance induite : perte d’identité, frustration, culpabilité de décevoir.

 

 L’absence d’écoute et de reconnaissance

Un parent débordé, stressé ou centré sur ses propres problèmes peut oublier d’écouter réellement son enfant.

Exemple concret :
Une adolescente tente de parler de son mal-être à sa mère, qui lui répond machinalement : "Tu exagères toujours. Ce n’est pas grave, ça passera."
L’ado cesse de se confier. Elle se sent incomprise, invisible. Elle se referme ou cherche de l’attention ailleurs, parfois dans des relations toxiques.

Souffrance induite : sentiment d’inutilité, difficulté à se confier, recherche constante de validation extérieure.

 

Les conflits conjugaux exposés aux enfants

Les disputes entre parents, même si elles ne les concernent pas directement, impactent profondément l’enfant. Il est souvent pris à témoin, ou il ressent la tension de manière aiguë.

Exemple concret :
Un couple se dispute régulièrement devant son fils de 10 ans. Même si les mots ne lui sont pas adressés, l’enfant développe des troubles du sommeil, de l’anxiété, et un sentiment de culpabilité ("Peut-être qu’ils se disputent à cause de moi.").

Souffrance induite : angoisse, difficulté à faire confiance dans ses propres relations amoureuses plus tard, sur-responsabilisation.

 

Les injonctions paradoxales

Quand les paroles d’un parent vont à l’encontre de ses actes, l’enfant est plongé dans une confusion.

Exemple concret :
Un père dit à sa fille : "Tu peux me parler de tout, je suis là pour toi." Mais lorsqu’elle exprime un désaccord, il se met en colère ou se ferme.
L’enfant apprend alors à se taire, à dissimuler ce qu’elle ressent réellement.

Souffrance induite : perte de confiance, auto-censure, difficultés relationnelles.

 

 Les absences émotionnelles : être là sans être là

Un parent peut être présent physiquement, mais absent émotionnellement : préoccupé par son travail, son téléphone, son stress, ses propres blessures.

Exemple concret :
Un parent rentre du travail et passe la soirée sur son téléphone. Il répond à peine à son fils de 8 ans, qui essaie de lui raconter sa journée.
L’enfant apprend que ce qu’il vit n’intéresse pas. Il s’éteint peu à peu.

Souffrance induite : solitude affective, sentiment de ne pas exister, baisse de l’estime de soi.

 

Prendre conscience, ce n’est pas se culpabiliser

Ce texte n’a pas pour but de culpabiliser les parents, mais de réveiller une conscience bienveillante. Tous les parents font des erreurs, parce qu’ils sont humains. L’important est d’avoir le courage de regarder ces erreurs en face, de les nommer, et d’apprendre à faire autrement.

Quand un parent reconnaît ses maladresses, même tardivement, cela peut transformer la relation. Il n’est jamais trop tard pour dire :

"Je suis désolé·e, je ne me rendais pas compte. Mais je veux faire mieux, pour toi, pour nous."